Imaginer l’avenir : le pouvoir des charrettes — Un webinaire avec Juliette Patterson

Introduction & Présentation de Juliette Patterson

Lors d’un webinaire présenté par le Fonds d’héritage pour l’environnement, nous avons eu l’honneur d’animer une discussion avec Juliette Patterson, associée fondatrice de l’agence Catalyse Urbaine. Forte de plus de 20 ans d’expérience dans la réalisation de projets d’architecture et d’architecture paysagère, elle allie sensibilité environnementale et bien-être public.

Diplômée de l’Université McGill et de l’Université Harvard, Juliette Patterson est une figure éminente du domaine. Elle a dirigé de nombreux ateliers citoyens pour des municipalités et des groupes de citoyens, témoignant ainsi de son engagement envers la participation publique et l’amélioration de notre environnement urbain. Cet article revient sur les thèmes clés et les idées partagées lors du webinaire, en soulignant les principaux sujets abordés par Juliette Patterson.

Qu’est-ce qu’une charrette de design ?

Clarifions ce que signifie le terme « charrette de design ». Il s’agit d’un exercice d’idéation intensif et créatif, réalisé dans un temps limité. Cet outil démocratique permet aux citoyens d’exprimer leur vision et de participer à l’aménagement futur d’un espace public ou d’un secteur.

Les charrettes de design influencent la prise de décision en mettant sur papier les idées des citoyens. Ces dessins et propositions nourrissent ensuite la réflexion des décideurs et contribuent à une planification concertée.

Le terme « charrette » trouve son origine à l’École des Beaux-Arts de Paris au 19ᵉ siècle, où les étudiants en architecture travaillaient toute la nuit pour finaliser leurs projets avant de les déposer.

Juliette a ensuite exploré comment cet outil peut influencer les décisions sur les espaces publics, avec des exemples concrets de projets montréalais. La discussion s’est terminée sur le rôle des citoyens dans l’influence des décideurs à travers les charrettes de design.

L’origine et un exemple d’une charrette d’idéation

Une charrette circulait dans les rues où se trouvaient les étudiants des Beaux-Arts. Tôt le matin, ils y jetaient les plans d’architecture depuis leurs fenêtres, qui étaient ensuite envoyés à l’École des Beaux-Arts pour garantir le respect des délais. Le concept de charrette implique donc un travail intensif, réalisé sur une courte période, pour stimuler la créativité, avec la contribution de plusieurs personnes.

Le premier cas étudié est une charrette d’idéation, aussi appelée charrette de conception, qui concernait les promenades urbaines de Saint-Laurent. Cet événement, organisé par l’arrondissement il y a déjà dix ans, avait pour objectif de rassembler des citoyens ainsi que des professionnels intéressés pour élaborer des interventions sur le domaine public, plus particulièrement dans le Vieux Saint-Laurent. L’intention était d’améliorer la convivialité des espaces verts.

À la station de métro Côte-Vertu, l’environnement n’était pas très convivial : peu de verdure, beaucoup d’asphalte, et une traversée risquée entre les autobus et les voitures. L’idée était donc de réfléchir à des solutions pour rendre le Vieux Saint-Laurent plus accueillant, avec plus de biodiversité et de déplacements actifs.

Cette charrette a duré deux jours. Le premier jour, les participants ont visité le site. Ils ont élaboré des outils d’analyse : une liste de critères pour évaluer la convivialité des espaces publics. Par exemple : y a-t-il suffisamment de places assises ? Est-il protégé des intempéries ? La zone est-elle sécuritaire la nuit ? Y a-t-il de la végétation ? Les participants ont évalué la convivialité des espaces publics sur une échelle de 1 à 10 pour guider leur travail le deuxième jour.

Le deuxième jour était consacré à la charrette de design. En équipe, les participants ont choisi un lieu précis, comme ici le boulevard Décarie, et ont réfléchi aux moyens d’améliorer la biodiversité et la convivialité. L’équipe de Catalyse Urbaine ont également présenté des exemples d’aménagements réalisés dans d’autres villes pour nourrir leur réflexion.

La majeure partie de la journée a été consacrée au travail en équipe. En fin de journée, chaque équipe a présenté ses propositions, et les élus étaient présents. Le maire de l’arrondissement a d’ailleurs prononcé un mot de clôture.

Comme souvent dans ce genre de charrette, on retrouve beaucoup d’étudiants en architecture ou en design urbain, mais aussi d’autres citoyens impliqués dans l’amélioration de leur environnement.

L’implication des citoyens et l’impact des propositions

Cette charrette a rassemblé des citoyens engagés de tous âges. Il y avait des participants plus jeunes ainsi que des personnes de divers horizons qui travaillaient en équipe. Pour structurer leurs idées, ils ont d’abord utilisé des post-it avant de passer à des plans plus précis. Ils ont fourni du papier spécial, utilisé par les architectes, leur permettant de dessiner directement sur les plans et d’imaginer à quoi pourrait ressembler leur quartier dans les années à venir.

Il n’était pas nécessaire d’avoir une formation en architecture pour participer. L’objectif était d’exprimer une vision collective de l’espace public et d’imaginer les améliorations possibles.

Ce travail collaboratif s’est déroulé durant la deuxième journée de la charrette. Après cette phase de conception, les équipes ont présenté leurs propositions devant plusieurs représentants du service d’urbanisme ainsi que des élus de l’arrondissement. Ils ont ainsi partagé leurs idées sur l’amélioration de la convivialité et la manière dont ces espaces pourraient mieux répondre aux besoins des citoyens.

Une fois la charrette terminée, les architectes et architectes paysagistes de Catalyse Urbaine ont rassemblé les dessins et les idées formulées par les cinq équipes participantes en synthétisant ces propositions dans un plan global intégrant toutes les suggestions. Par exemple, une équipe avait travaillé sur la rue Décarie et avait imaginé plusieurs aménagements : sécurisation des intersections, installation d’une scène extérieure dans un parc, mise en place de panneaux de localisation des commerces, marquage au sol, et bien d’autres améliorations. Toutes ces idées ont été regroupées dans un rapport de synthèse. Ce document présente les constats et conclusions de la charrette, mettant en lumière les attentes des citoyens pour le Vieux Saint-Laurent. L’objectif était d’améliorer la convivialité des espaces publics, de favoriser la biodiversité et de mettre en valeur les points d’intérêt du quartier.

Après la charrette, l’arrondissement a confié un contrat à des architectes chargés de traduire ces propositions en un plan directeur. Ce dernier a été adopté officiellement, illustrant le passage d’une simple réflexion citoyenne à un véritable projet urbanistique. Pour qu’une charrette ait un impact réel, un suivi rigoureux doit être assuré afin que ces idées restent vivantes et soient concrétisées dans le temps.

La charrette du Golf de Meadowbrook

Il y a un peu plus de 10 ans, une charrette de design a été organisée pour réfléchir à l’avenir du golf de Meadowbrook. Cet événement était porté par le groupe Les Amis de Meadowbrook. Catalyse Urbaine en assurait l’animation. Contrairement au premier exemple de charrette, celle-ci s’est déroulée sur une seule journée et avait pour objectif de formuler des propositions d’aménagement pour ce vaste espace vert.

L’équipe d’organisation et les nombreux participants ont travaillé en petits groupes, chacun étant installé autour d’une table avec des plans imprimés du site. Chaque équipe s’est concentrée sur un thème spécifique :

  • Certains ont réfléchi à la valorisation de la biodiversité et à la manière dont elle pourrait être renforcée dans l’aménagement futur du site.
  • D’autres ont exploré son histoire culturelle, notamment en soulignant la présence de longue date des peuples autochtones sur ce territoire.

Enfin, tous les participants ont abordé la question de la connexion de cet espace vert avec les quartiers avoisinants, car plusieurs villes et arrondissements bordent ce site d’envergure.

En fin de journée, chaque équipe a présenté ses idées devant un panel d’experts et de conseillers municipaux issus des trois agglomérations voisines. Comme lors de la première charrette, ces présentations ont permis aux élus et urbanistes de mieux comprendre les aspirations des citoyens.

Après l’événement, Les Amis de Meadowbrook ont sollicité Catalyse Urbaine pour transformer ces idées citoyennes en un plan directeur, visant à orienter l’aménagement futur du site. Ce document propose notamment une vision évolutive sur 25 ans, axée sur la restauration progressive de la biodiversité sans nécessiter une reforestation immédiate et massive.

Catalyse Urbaine a élaboré un schéma d’intervention en plusieurs étapes :

  • Mise en place d’une gestion différenciée des espaces verts, visant à favoriser progressivement la flore naturelle.
  • Valorisation et restauration des milieux humides, notamment les marais présents sur le site.
  • Plantation sélective d’arbres et d’arbustes, avec une expansion graduelle de la végétation au fil des années.

L’objectif final était de créer un cadre durable où la nature pourrait retrouver sa place tout en répondant aux attentes des citoyens.

À ce jour, la Ville de Montréal n’a pas encore adopté le plan directeur, et le site demeure toujours un golf. Toutefois, le projet initial de conversion du terrain en développement résidentiel, qui avait déclenché cette mobilisation citoyenne, a été abandonné – au moins pour le moment. Bien que le site n’ait pas encore été transformé en parc, il reste un espace vert protégé où aucune construction n’a eu lieu.

Cela illustre bien les enjeux de la participation citoyenne dans l’aménagement urbain : une charrette permet d’exprimer des idées fortes et d’inspirer des changements, mais leur concrétisation dépend souvent des décisions politiques et administratives qui suivent.

La charrette et le rôle de la technologie dans l’engagement citoyen

Les charrettes de design sont des outils efficaces pour encourager la participation citoyenne, car elles sont courtes, dynamiques et engageantes. Elles permettent aux citoyens de s’exprimer sur la planification d’un espace public et de proposer des idées concrètes. Cependant, leur capacité à influencer les décideurs reste limitée. Une charrette seule ne suffit pas à orienter les politiques d’aménagement : elle doit être complétée par d’autres outils et s’inscrire dans un processus plus large impliquant le pouvoir décisionnel et la réglementation.

Le rôle de la technologie dans l’engagement et la communication des initiatives environnementales

La technologie offre plusieurs moyens de rendre la participation plus inclusive. Tout le monde ne peut pas assister à une charrette en personne, que ce soit par manque de temps ou d’intérêt pour ce type d’événement. Pour inclure un plus grand nombre de citoyens, il est possible de recourir à différents outils numériques :

  • Questionnaires en ligne : Une alternative simple et efficace pour recueillir l’avis des citoyens. Ces sondages permettent de capter les préférences et idées de ceux qui ne peuvent pas se déplacer.
  • Visioconférences et enregistrements : Grâce aux plateformes numériques, les citoyens peuvent suivre les discussions en direct ou visionner les enregistrements plus tard, afin de mieux comprendre les enjeux et, si possible, y contribuer.
    Ces outils permettent d’étendre la portée des initiatives en touchant un public plus large, qui autrement ne participerait pas.

L’impact des représentations visuelles sur la mobilisation

Une image a un pouvoir considérable dans le processus de décision. Des études montrent que le cerveau ne fait pas toujours la distinction entre l’imagination et la réalité : lorsqu’une vision d’un projet est clairement représentée visuellement, elle devient plus tangible et plus crédible aux yeux des citoyens et des décideurs.

Dans le cadre d’une charrette, la création de plans, croquis ou rendus visuels permet de:

  • Donner vie aux idées des citoyens et les rendre plus concrètes.
  • Faciliter la communication avec les élus, qui auront une vision plus claire des propositions.

Renforcer la mobilisation en donnant un objectif clair à la communauté. Ainsi, une image forte peut aider à maintenir un projet en vie, jusqu’à ce qu’il soit pris en charge par la municipalité et obtienne un financement.

L’organisation et le rôle des parties prenantes

Une charrette bien organisée repose souvent sur l’expertise de professionnels ayant déjà travaillé sur ce type de processus. Par ailleurs, la réussite d’un projet citoyen dépend aussi de la capacité à mobiliser les bonnes personnes. Travailler avec la municipalité peut être un atout, car elle dispose des listes de contacts des acteurs clés (leaders communautaires, groupes locaux, entreprises impliquées).

Si l’initiative est indépendante, il est toujours possible d’identifier les personnes influentes du quartier, celles qui portent des projets et qui peuvent aider à rassembler les citoyens autour d’une vision commune.
En combinant approches participatives, outils technologiques et représentations visuelles, une charrette de design peut réellement avoir un impact et influencer l’avenir d’un espace urbain.

Conclusion

Il est définitivement une bonne idée d’inviter les élus à différents niveaux de gouvernement. Il est important d’avoir un designer dans chaque équipe, quelqu’un qui peut prendre les idées et les concrétiser visuellement.
En conclusion, le coût total du projet s’est élevé à environ 12 000 $, englobant la production du plan, l’organisation de la charrette ainsi que les dépenses annexes comme le transport et les repas. Une étude de biodiversité représente un investissement similaire, oscillant entre 10 000 $ et 15 000 $, et demeure un élément clé pour justifier la préservation d’un site.

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